L’apogée du « tout en eau » vit ses prémices à l’aube de la libération de la seconde guerre mondiale. Les autorités et les grands industriels comprirent que le confort et l’hygiène, par le biais de progrès techniques, permettait de profiter pleinement du potentiel des individus sains et donc potentiellement plus productifs. Malgré certaines réticences d’hérétiques au courant porteur de l’hygiénisme, les soins du corps par l’eau courante dans toutes ses combinaisons reflétaient petit à petit la « supériorité du corps » dans notre société.
Le 14 juin 1969, un décret stipula que : « tout logement devra comporter une pièce dédiée à la toilette et elle sera équipée d’un lavabo complétant une baignoire ou une douche ». L’ère de l’Eau, tant dans son accessibilité que dans sa consommation, est belle et bien installée, suivie par celle de l’électricité! Dès lors, en France, l’équipement en salle de bain et électroménager ne cessa de progresser. Aujourd’hui, de la cuvette japonaise équipée de sa selle chauffante et de son jet purificateur, à la lunette Washet vous donnant votre poids, votre pression artérielle, votre température…, on constate que le progrès ne s’arrête pas ! L’eau, moelle épinière de toute vie, a tantôt fasciné, tantôt effrayé pour tendre aujourd’hui au paroxysme de son utilisation laissant place à un nouvel enjeu : comment faire pour que cette ressource reste abondante, disponible pour tous les usages et de bonne qualité sans changer radicalement nos comportements ?
Comme le souligne C. Élain (Un petit coin pour soulager la planète, 2002), si nos matières fécales pouvaient s’exprimer elles nous diraient très certainement : « que d’eau ! Que d’eau depuis une centaine d’années ! Qu’ai-je bien pu faire de si terrible, se demanda-t-elle, pour que les hommes éprouvent un tel désir de me noyer ? Est-ce vraiment moi le problème ? ».
Comme nous avons pu le noter, l’histoire des soins hydriques dans l’hexagone révèle une structure sociale et morale prédominante. Pierre Bourdieu, dans un article intitulé Remarques provisoires sur la perception sociale du corps (avril 1977), rappelle que « le corps dans ce qu’il y a de plus naturel en apparence, c’est-à-dire dans la dimension de sa conformation visible, est avant tout un produit social. ». Se soulager de ce poids quotidien est très certainement l’une des choses les plus naturelles qui soit. Nos excréments se voient cependant confrontés à des composantes idéologiques, religieuses, psychologiques, culturelles qui n’ont cessé d’évoluer au cours du temps. L’ambivalence règne concernant cette « petite chose » : elle peut attirer d’un point de vue psychologique (pour des personnes scatophiles par exemple) ou pratique pour un agriculteur ayant besoin d’un intrant riche en azote, potassium et phosphore. Elle peut tout aussi bien répugner. Cette dichotomie mérite d’être soulignée d’un point de vue géographique. Dans un article de l’historien Jean-Pierre Aguerre intitulé Scatophobie des villes, scatophilie des champs. Gestion et utilisation des fèces à Lyon à la fin du 19ème siècle (2007), l’auteur nous montre que, jusqu’à l’arrivée de l’hygiénisme, coexistait un cycle symbiotique qui unissait la ville et la campagne : « les excréments et les ordures de la ville sont l’or des champs. La premières sécrète des déchets vitaux pour la seconde qui les recycle sous forme de productions végétales vendues sur les marchés de la ville. Ainsi par nécessité la ville est scatophage et la campagne scatophile ». Arrive donc l’heure de l’écoulement par les canalisations résolvant les dérangements olfactifs au détriment d’une « ponction » des fèces en milieu urbain pour une réintroduction en milieu rural dans un but agricole. D’un certain point de vue, cette solution urbano-centrée[1] casse tout lien organique et fonctionnel entre l’espace urbain et rural ; la ville restituait au monde agricole en intrant ce qu’elle percevait de celui-ci, sous forme de denrées alimentaires.
[1] Aujourd’hui la population française, urbaine comme rurale, se voit équipée d’un réseau au tout-à-l’égout ou fosse septique